21.10.2025

Autodéfense au quotidien : les stratégies improvisées par les femmes dans les moyens de transport en commun

Dans les couloirs étroits d’un bus bondé, sur le quai bruyant d’un métro, ou dans le silence pesant d’un taxi collectif, les femmes développent chaque jour des stratégies invisibles mais essentielles pour assurer leur sécurité. Le harcèlement et les agressions dans les moyens de transport en commun sont un phénomène largement répandu, souvent banalisé, et pourtant profondément traumatisant.

Dans les couloirs étroits d’un bus bondé, sur le quai bruyant d’un métro, ou dans le silence pesant d’un taxi collectif, les femmes développent chaque jour des stratégies invisibles mais essentielles pour assurer leur sécurité. Le harcèlement et les agressions dans les moyens de transport en commun sont un phénomène largement répandu, souvent banalisé, et pourtant profondément traumatisant.

Cet article s’appuie sur des témoignages recueillis via un questionnaire anonyme[1], afin d’analyser comment les femmes s’adaptent, inventent, et improvisent des formes d’autodéfense dans l’espace public. 

Dzair 678[2] :

Nous prenons le bus, le métro, le tramway pour aller travailler, étudier, retrouver nos proches… Mais trop souvent, ce trajet banal devient un espace d’alerte, un espace où nos corps sont scrutés, frôlés, envahis sans consentement. Le transport en commun, censé être un lieu public partagé, se transforme alors en terrain d’agressions. Ces lieux deviennent synonymes de tensions, de vigilance constante et trop souvent de peur.

«  Le même attouchement  subi à 13ans puis 26 ans. Enfant, je n'avais pas compris. À 26 ans, j'ai osé me lever complètement du siège et j'ai pris le pervers en flagrant délit. Sa technique était d'utiliser sa main du côté opposé et de contorsionner son bras pour passer dans l'interstice de la fente du siège et venir toucher mes fesses. Ainsi, il pouvait afficher son autre main (qui était de mon côté), posée sur son genou le plus normalement du monde. Comme la même action s'est passée à plus de 10 ans d'intervalle, j'en ai conclu que c'est une stratégie qui se transmet entre pervers, qu'ils sont organisés, la culture du viol dans leur cas est tout à fait consciente. » Meriem. 

Ce passage illustre avec une clarté effrayante la manière dont certains hommes perpétuent des comportements abusifs de façon organisée et méthodique. Cela montre que ces attouchements ne sont pas des accidents isolés, mais le résultat d’une stratégie consciente et répétée, transmise entre individus. D’où la nécessité d’une solidarité entre femmes, et d’une vigilance collective.

Dans les témoignages recueillis, une constante revient : l’anticipation. Avant même que l’agression n’arrive, noues noues préparons, noues calculons nos gestes, nos déplacements, nos places, et ceux des potentiels agresseurs aussi. Noues sommes en vigilance permanente.

Et pourtant, cette vigilance n’est jamais considérée comme une stratégie de défense. On la nomme “prudence”, “paranoïa”, ou on la réduit à une exagération féminine. Mais la vérité est là : notre corps sait, notre intuition noues parle, et chaque fois que noues ajustons notre sac, que noues changeons de siège ou que noues noues collons à une femme, noues pratiquons déjà une forme d’autodéfense

Sentir, reconnaître, nommer : la première étape de la défense : 

Noues avons, trop souvent, tendance à minimiser ce que noues ressentons. À noues dire : « ce n’est peut-être rien », « il n’a sûrement pas fait exprès », « c’est moi qui exagère ». Noues perdons de précieuses secondes à douter : « Est-ce qu’il a vraiment mis sa main sur ma hanche ? Peut-être que c’est juste son sac… » « Non, il n’oserait pas… J’imagine… » Noues noues efforçons  à essayer de  rationaliser, à trouver des excuses, au lieu de noues écouter. Et dans cette incertitude, la transgression s’installe. C’est là que réside la première forme de violence : dans cette hésitation qui noues ronge, dans cette banalisation de l’agression. Dans le déni, car noues avons trop honte de réaliser qu’on se fait agressée devant tout le monde.

Plusieurs femmes racontent ces instants de flottement : la main “par erreur”, le frottement “accidentel”, le regard insistant qu’on cherche à justifier. La culpabilité, la honte, l’hésitation. 

Or, il est essentiel de rappeler : si je me sens mal à l’aise, il y a agression. Valider ce ressenti, c’est affirmer notre capacité à repérer les schémas de violence. Personne n’a le droit de me faire ça. Nommer ce qui se passe, c’est déjà résister. C’est refuser de banaliser. Ces instants perdus, qui paraissent si banales, sont en réalité le lieu où se joue notre pouvoir de riposte. Plus tôt noues réagissons, plus nos stratégies ont de l’impact.

Chaque femme a ses propres signaux d’alerte. Pour certaines, c’est une accélération du rythme cardiaque, un nœud dans l’estomac, la gorge qui se serre. Pour d’autres, c’est un regard fuyant, une incapacité à occuper l’espace. Les émotions varient : peur, colère, timidité gène… Ces réactions ne sont pas des faiblesses. Elles sont des boussoles. Elles noues montrent que quelque chose d’anormal est en train de se passer. Apprendre à reconnaître ces signaux, c’est apprendre à se faire confiance. Et se faire confiance, c’est la base de toute autodéfense.

Autodéfense et autodéfense féministe : quelle différence ?

Il est essentiel de distinguer l’autodéfense « classique » de l’autodéfense féministe. L’autodéfense « classique » apprend des gestes, des techniques. L’autodéfense féministe, elle, va plus loin. Elle part de nos vécus, de nos expériences de femmes, de nos peurs et de nos colères. 

L’autodéfense classique puise dans les arts martiaux, les techniques de combat et vise à neutraliser une menace physique. Elle est souvent pensée dans une perspective individuelle et neutre, sans prendre en compte les rapports de genre.

L’autodéfense féministe, théorisée notamment par Elsa Dorlin[3], est une démarche politique. Elle part du constat que les violences sexistes et sexuelles ne sont pas des incidents isolés, mais le produit d’un système patriarcal qui conditionne les femmes à être vulnérables. L’autodéfense féministe n’enseigne pas seulement à « frapper », mais à déconstruire la culpabilité, à reprendre confiance en son corps, à affirmer son droit à l’espace public. Et Surtout l’objectif ultime de l’autodéfense féministe est de se mettre en sécurité, le but n’est pas de se venger, de gagner ou de faire du mal, mais d’écarter le danger, quitte à fuir. Comme l’explique la chercheuse Irène Zeilinger, fondatrice de l’association Garance à Bruxelles : « L’autodéfense féministe n’est pas qu’une question de coups et de cris. C’est une pédagogie qui donne aux femmes les moyens de se réapproprier leur corps, leur voix et leur légitimité à occuper l’espace public. »

Dans ce sens, les stratégies improvisées par les femmes dans les moyens de transport s’inscrivent déjà, souvent inconsciemment, dans une logique d’autodéfense féministe : elles témoignent d’une résistance quotidienne, d’un refus d’abandonner l’espace public aux agresseurs.

Stratégies improvisées : se protéger comme on peut

Selon une enquête menée par ONU Femmes en 2017, 97 % des femmes au Caire ont déjà subi du harcèlement dans les transports publics.  Selon une autre enquête menée en France, 99 % des mis en cause enregistrées pour violences sexuelles dans les transports en commun sont des hommes. Il y a une absence de statistiques officielles pour l’Algérie, mais une multiplication de témoignages et de coups de gueule sur les réseaux sociaux.

85% des femmes interrogées à travers le questionnaire ont subi du harcèlement dans les transports en commun. Les formes varient : regards insistants, frôlements, insultes, gestes obscènes, jusqu’aux attouchements (77,3%). Ce ne sont pas des incidents isolés mais une réalité vécue régulièrement par un grand nombre de femmes, une matérialisation quotidienne de misogynie systémique.

Beaucoup disent avoir vécu leur première agression dès l’adolescence, parfois à 12 ou 13 ans, marquant ainsi l’entrée brutale dans une conscience du danger permanent et influençant durablement la perception de l’espace public.

Les Caleurs[4] :

Avant de citer les différentes stratégies improvisées il est important de lister et catégoriser les différentes formes de violences que noues subissons. Le déni, comme moyen d’adaptation, ayant atteint un niveau tel que beaucoup hésitent à qualifier d’agressions ces évènements quasi-quotidien.

Catégorie

Formes d’agression

Exemples concrets

 
Harcèlement verbal et non-verbal  

 

Propos obscènes, insultes, remarques intrusives, regards insistants

« Ya chaba[5] », sifflements, commentaires sur le corps

Attouchements et contacts physiques

Touchers non consentis, frottements, pression corporelle, écarter les jambes

Mains sur les fesses ou les cuisses, se coller « par manque de place », se frotter délibérément

Stratégies d’agression indirectes, masquées

Utilisation d’objets, simulation d’accident ou perte d’équilibre

Toucher avec un sac ou une veste, « tomber » exprès sur une femme, s’asseoir collé malgré des places libres

Agressions plus graves

Exhibitionnisme, tentative de baiser, d’isolement, de viol

Montrer ses parties génitales, se masturber dans le bus, forcer une femme à descendre pour l’isoler

Maria 17ans : « Un homme (le trajet rouiba- dergana pour prendre le tram) assis à côté de moi me touchait la cuisse et me serrait fort.»

Leila 21 ans : « Dans un bus étudiant blindé j'étais à côté de la porte au milieu des hommes, un gars a commencé à se masturber en me regardant et a même baissé son pantalon, et  a essayé de se coller à moi. »

Hayat 44 ans : «C’était en fin de journée, le tram était plein à craquer, il s’est collé à moi et s’est frotté contre moi »

Face à ces agressions, noues développons des stratégies. Ce n’est pas un « manuel » appris à l’avance, mais une accumulation d’expériences qui forment une sorte de boîte à outils intérieure. Chaque geste est une manière de reprendre un bout de pouvoir dans une situation qui noues le vole. 

La particularité des transports en commun est qu’il s’agit d’espaces fermés, souvent surchargés, ce qui limite les possibilités de fuite. L’espace personnel est réduit et la possibilité de réagir limitée. Toutefois les femmes s’adaptent et se montrent créatives. 

Nous relevons 4 types de stratégies :

  1. Stratégies de défense active : 

Certaines répondantes évoquent le recours à des gestes physiques pour repousser un agresseur : coup de coude, utilisation du sac comme bouclier, voire emploi d’objets du quotidien (parapluie, bouteille d’eau, aiguille/épingle…) pour instaurer une distance. Cette défense est révélatrice de l’inventivité des femmes dans des contextes de danger. Toutefois, elle demeure marginale : elle exige non seulement du réflexe, mais aussi une bonne dose de courage et l’absence de crainte des représailles. 

Les stratégies relevées vont de l’attitude silencieuse au geste frontal :

  1. Grimaces ou expressions faciales exagérées : Certaines passagères choisissent de déstabiliser l’agresseur en adoptant des mimiques étranges ou grotesques : grimaces, regards fixes, sourires forcés. Cette tactique vise à surprendre, rendre l’approche moins “séduisante” ou socialement gênante pour l’homme qui harcèle.

  2. Utilisation du sac ou du sachet comme barrière : De nombreuses femmes placent leur sac à main, sac à dos ou sachet entre elles et l’agresseur pour bloquer tout contact corporel. Ce geste, discret et socialement "acceptable", constitue l’une des tactiques les plus fréquentes.

  3. Se rapprocher du conducteur : lorsqu’elles le peuvent, certaines femmes choisissent de se placer à l’avant du bus, près du chauffeur. Cette position, plus visible, réduit la possibilité d’agression dans la mesure où elle expose davantage la scène au regard d’autrui.

  4. Le faux appel téléphonique : Composer un numéro et simuler une conversation, parfois en mentionnant sa localisation, constitue une stratégie défensive pour signaler implicitement à l’agresseur qu’on n’est pas isolée. 

  5. Créer une solidarité spontanée : Certaines passagères engagent volontairement la conversation avec une autre femme du bus, même inconnue, afin de créer une bulle de protection et décourager les comportements intrusifs. Cette tactique met en lumière l’importance de la sororité dans l’espace public.

  6. Piquer l’agresseur avec une épingle : Certaines femmes, notamment celles qui portent un voile ou qui ont l’habitude d’avoir une petite épingle sur elles, utilisent ce petit objet comme une arme de défense discrète. Dès qu’elles sentent une main se poser sur leur corps ou se glisser furtivement entre les sièges du bus, elles réagissent immédiatement en piquant la main de l’agresseur. 

  7. Crier ou faire du bruit : Lever la voix, pousser un cri ou créer un vacarme avec ses objets (frapper son sac contre une barre métallique ou une pièce de monnaie contre la fenêtre, etc.) pour attirer l’attention et pousser l’agresseur à arrêter. Cependant, plusieurs femmes craignent que cette réaction n’entraîne un retournement contre elles, Selma raconte :

    « J’ai pris le bus interwilaya d’Alger /Béjaia. Un individu méprisable s’est assis juste derrière moi, coté fenêtre. Il a passé sa main entre les sièges et m’a touché la poitrine. J’ai immédiatement réagi et fait un scandale, mais à ma grande stupeur les regards accusateurs des passagers se sont tournés vers moi ! Comme si que j’étais la coupable et non la victime. »

  8. Filmer la scène : depuis quelques années, et particulièrement avec la montée en puissance des témoignages en ligne, de plus en plus de femmes trouvent le courage – et le réflexe – de sortir leur téléphone pour filmer ou photographier une agression dans les transports en commun. Le phénomène a été amplifié après la trend "Labor"[6] sur les réseaux sociaux : une vague de vidéos où des femmes révélaient des situations de harcèlement ou d’agression vécues dans les transports et autres espaces publics. Cette dynamique virale a eu un double effet :

·  Encourager la solidarité féminine : voir d’autres femmes exposer publiquement leurs expériences a poussé beaucoup de victimes à faire de même.

·  Créer un réflexe collectif : sortir son téléphone pour dire  « je ne me tais plus », et faire changer de camp à la honte.

  1. La confrontation directe : enfin, une minorité assume l’affrontement direct : interpeller l’agresseur à voix haute, lui adresser des insultes ou le repousser physiquement. C’est une stratégie à haut risque, qui demande du courage et une forte confiance en soi. 

Ces stratégies montrent que, loin d’être passives, les femmes inventent des tactiques de survie et de résistance face à un environnement hostile. Elles traduisent un rapport ambivalent : entre le désir de se protéger sans attirer l’attention, et la nécessité d’affirmer une présence dans l’espace public.

 

  1. Stratégie collective :

Celle-ci repose sur la complicité entre femmes. La solidarité spontanée entre passagères. Certaines interviennent pour protéger une inconnue, offrir une place à côté d’elles ou distraire un agresseur. Cette “sororité mobile” agit comme un bouclier. Toutefois, elle repose sur le hasard des rencontres.

Certaines disent aussi faire en sorte de ne pas prendre le bus seule, d’être accompagnée d’une amie, collègue, camarade… pour se sentir plus en sécurité et plus confiante si elle doit réagir.

 

  1. Le recours au religieux : 

Il s’agit ici d’un outil contextuel de résistance. Dans certains contextes spécifiques, notamment dans les bus privés (par exemple sur la ligne Draria/Achour – Ben Aknoun, mais aussi dans plusieurs wilayas de l’intérieur et du Sud), les femmes déploient une stratégie singulière pour se défendre des agressions : le recours au religieux.

Certaines passagères refusent catégoriquement qu’un homme s’assoie à côté d’elles ou reste debout trop près. Pour se justifier, elles invoquent la religion et les traditions: « c’est haram, je ne veux pas qu’il s’assoit à coté de moi » « Je descends si vous insistez ! » « Rajel fi west N’sa 3iib »[7]. Placé face à la menace de perdre plusieurs clientes à la fois, le chauffeur tranche en faveur des femmes et ordonne aux hommes de se placer à l’arrière. 

D’autres femmes, dans des situations plus directes d’agression — un frottement, une main qui se pose, une proximité forcée — choisissent de réciter des versets du Coran à voix haute. Cette stratégie a plusieurs effets : elle attire l’attention des autres passager.e.s, rompt l’isolement de la victime, et déstabilise l’agresseur qui se retrouve exposé face à une communauté interpellée par le religieux. Contrairement aux cris ou aux insultes, qui peuvent parfois être retournés contre la femme (“elle exagère”, “elle cherche la honte”), cette méthode impose un registre d’autorité incontestable dans l’espace social algérien.

Comme le souligne l’anthropologue Saba Mahmood[8] dans Politique de piété : le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique (2005), le religieux n’est pas toujours à comprendre en termes d’oppression, mais peut aussi constituer un espace de subjectivation et d’action. Dans le cas algérien, il devient une stratégie féminine pour transformer la honte (souvent imposée aux femmes agressées) en un outil de légitimité publique. 

Cette pratique illustre aussi les manœuvres imposées par le cadre social : les femmes doivent parfois s’appuyer sur un système normatif patriarcal pour se protéger, plutôt que de pouvoir imposer directement leur droit à l’espace public. Cela montre aussi que l’autodéfense féministe peut, dans certains contextes, passer par la réappropriation du religieux comme langage stratégique, tout en restant critique de ses usages patriarcaux. 

Cela prouve aussi que l’autodéfense féministe ne se limite pas à une série de techniques universelles. Elle est multiple, créative, adaptée aux réalités locales. Et toutes ces formes sont valides, parce qu’elles nous permettent de dire non, de fixer nos limites.

 

  1. Stratégies d’évitements : 

D’autres femmes expliquent qu’elles choisissent de voyager à certaines heures plutôt que d’autres, d’éviter des lignes connues pour leur insécurité ou de préférer marcher ou prendre un VTC plutôt que de prendre un bus, un métro ou un tram bondé. Ce type de stratégie – qui est aussi à la fois une conséquence de la peur de se faire agressée – préventive permet sur le court terme de réduire des risques immédiats, mais implique souvent un coût financier bien plus élevé que celui des transports en commun classiques. Ce surcoût, répété au quotidien, pèse lourdement sur leur budget et peut rapidement devenir un fardeau économique. Ce mécanisme illustre comment l’insécurité dans l’espace public ne se traduit pas seulement par une atteinte à la liberté de circulation, mais a aussi des répercussions économiques directes et structurelles sur la vie des femmes.

 

Les limites de l’autodéfense improvisée

Les stratégies d’autodéfense improvisée présentent des limites importantes. Même les tactiques les plus réfléchies ne garantissent jamais une protection totale face aux agressions. Elles restent des palliatifs, des moyens de se défendre sans pouvoir éliminer entièrement le danger. Plutôt que de questionner le comportement des agresseurs et les défaillances du système, la société tend à exiger des victimes qu’elles anticipent et préviennent les agressions, ce qui constitue une injustice structurelle.

Cette vigilance constante génère une fatigue physique[9], émotionnelle et mentale considérable. Chaque déplacement devient un exercice de planification et de prévention, alimentant stress, anxiété et hyper-vigilance. Ces effets rejoignent les analyses de la psychologue féministe Marie-France Hirigoyen sur la violence psychologique, mais aussi celles de Bell Hooks, qui insiste sur le lien entre oppression systémique et trauma individuel.

 La charge mentale est invisible, mais elle pèse lourdement sur notre quotidien, transformant des moments de vie ordinaires en sources d’angoisse. Les femmes ressentent une profonde injustice : devoir se protéger elles-mêmes révèle l’échec de l’État et de la société à garantir leur sécurité. L’énergie investie dans ces stratégies de survie se fait souvent au détriment de notre liberté et de notre bien-être, alors que noues devrions pouvoir noues déplacer librement et en confiance.

Ainsi, si l’ingéniosité et la résilience déployées pour se protéger sont remarquables, elles témoignent aussi de la persistance d’un système qui ne protège pas suffisamment celles qui en ont le plus besoin. Les stratégies d’autodéfense improvisée restent des réponses individuelles et ponctuelles, insuffisantes pour transformer les structures de pouvoir et faire évoluer les comportements à l’échelle sociale. Elles révèlent la nécessité de repenser les politiques publiques et de créer des environnements où la sécurité des femmes ne dépendrait plus uniquement de leur capacité à anticiper et à se défendre.

 

 

 

Warda SOUIDI

Militante féministe et membre du collectif Algerian Feminists.

Etudiante en sciences sociales avec spécialisation en études de genre.

Wardasouidi18@gmail.com

 

 

 


[1] Enquête menée entre et le 12 et 17 aout auprès de 400 participantes âgées entre 17 et 56ans.

[2] Clin d’œil au film Egyptien  Cairo 678 qui traite des violences sexuelles à l’encontre des femmes et plus précisément de l’harcèlement dans les moyens de transport.

[3] Dans Se défendre. Une philosophie de la violence (2017)

[4] On emprunte le titre au spectacle de l’Humoriste «Fellag» qui parlait de «Caleurs» pour designer ceux qui se frottent contre les femmes dans les transports. 

 

[5] « Ma jolie »

[6] Pour remettre les choses en contexte, la trend Labor trouve son origine dans une chanson du même titre de l’artiste Paris Paloma, qui dénonce les inégalités de genre et les violences faites aux femmes. Reprise ensuite par de nombreuses Algériennes, cette chanson est devenue la bande-son de vidéos où elles exposent leurs agresseurs. On peut l’interpréter comme une déclinaison locale du mouvement Me Too.

[7] « Un homme au milieu de femmes, ce n’est pas faisable ! »

[8] Anthropologue Pakistanaise qui s’est intéressée au genre, aux politiques religieuses et aux relations entre musulman.e.s et non musulman.e.s au Moyen-Orient.

[9] La frustration et la répression de la colère se traduisent par des maladies cardiovasculaires et auto-immune sur le long terme.

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