03.08.2023

La Jeunesse tunisienne dans un tourbillon d’incertitude

« Les jeunes » - est un terme souvent employé pour identifier un segment de la population. Souvent on définit les jeunes selon leur tranche d’âge ou comme étant les personnes en période de transition entre l’adolescence et l’âge adulte.

Cependant, il est important de préciser que « la Jeunesse » est un concept. Les jeunes représentent un groupe de personnes hétérogènes qui partagent des situations de transition parfois similaires. Ils/elles passent par des périodes de changements allant de la fin de leur cursus éducatif, passant à une période de chômage et de recherche de soi, parfois longue et s’achevant avec le début des premiers pas de leur carrière professionnelle.

L’étude sur la Jeunesse de la FES

La Fondation Friedrich Ebert (FES) considère les jeunes comme un facteur déterminant pour initier des changements dans le monde de la politique et de la société. Après une première étude sur la Jeunesse dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en 2016, une deuxième large enquête quantitative a été menée dans douze pays de la région en 2021, dont la Tunisie avec 1002 jeunes hommes et femmes tunisien.nes, âgés entre 16 et 30 ans.

Les résultats recueillis à partir de 200 questions posées ont été présentés à Imed Melliti, Professeur de sociologie et d’anthropologie à l’Université de Tunis El-Manar, pour qu’il les interprète et les place dans le contexte actuel tunisien.

Une jeunesse dépolitisée ?

Son analyse, a révélé que 83 pour cent des jeunes intéreviwé.es ont peu ou pas d’intérêt pour la politique, rejetant le vote et l'engagement dans les partis politiques au profit de formes non-conventionnelles d'expression politique et d'action collective. Selon M. Melliti, ce désintérêt est lié à la faible crédibilité des acteurs politiques. Près de la moitié des personnes interrogées associent la politique à la corruption. Sur la base de ces constats, initiés par diverses études antérieures et confirmés par l’analyse de la FES, les chercheur.es ont été incités à s’interroger sur les formes d'action politique dont disposent les jeunes après la révolution de 2011 en Tunisie, notamment l'implication dans des formes d'engagement non-institutionnalisées et l'enthousiasme pour des actions de protestation occasionnelles, et des actions dans des formes de résistance décrites comme "infra-politiques".

Déception des institutions

La majorité des jeunes en Tunisie sont critiques à l'égard de la situation politique du pays et désapprouvent les institutions politiques en raison de leur déception quant à leur fonctionnement et à leurs performances. Cette déception les a découragé.es à s’intéresser et à rechercher activement des informations sur la scène politique. Ils/elles ne considèrent plus la télévision comme une source d’information fiable et primordiale comme c’était le cas au cours des cinq dernières années, mais s’orientent plutôt aux informations relayées sur les réseaux sociaux. Cette tendance de l’utilisation des informations publiées sur les réseaux sociaux est certes intéressante, mais aussi alarmante dans le sens que les fake-news sont assez répandues et qu’elles sont partagées beaucoup plus rapidement que les informations fiables et vérifiées.

Dans son analyse, Prof. Melliti démontre que les données collectées montrent que l'engagement politique des jeunes en Tunisie s'éloigne des formes traditionnelles telles que le vote et l'adhésion à des partis politiques. Au lieu de cela, ils/elles s'engagent dans des actions individualisées telles que les boycotts, la mobilisation sur les médias sociaux, la distribution de tracts et la signature de pétitions. Les partis politiques et les institutions religieuses sont devenus impopulaires, ce qui n’était pas le cas dans les premières années qui ont suivi la révolution. Ce changement est attribué à l'incapacité des élites politiques et des organisations à tenir les promesses de la révolution, ce qui a réduit la crédibilité de l'action organisée et accentué la focalisation sur l’intérêt personnel plutôt que sur l’intérêt collectif.

Le mécontentement envers la politique a conduit les jeunes tunisien.nes à préférer un leadership d’un homme fort plutôt qu’un système démocratique. Ils /elles souhaitent un « retour à l’ordre » après avoir connu un système démocratique mené par l’incompétence et la mauvaise gouvernance. Derrière la frustration des jeunes se cache une lueur d’espoir qui est manifestée par le souhait de plus que 50 pour cent des répondant.es que le gouvernement joue un rôle plus important dans l'économie et la société.

Incertitude et instabilité économique

L’insécurité de la situation politique affecte la vie économique et sociale des jeunes. En terme d'emploi, moins d'un tiers des jeunes a un emploi rémunéré. L'emploi informel domine le marché du travail, en particulier pour les jeunes issu.es de milieux défavorisés. Un tel contexte a favorisé l’importance des transferts financiers entre les jeunes et leurs parents.

Le rôle central de la famille

Malgré l’incertitude et l’instabilité, les réponses de jeunes interrogé.es montrent que la famille reste une institution importante à laquelle la grande majorité des personnes interrogées font confiance, tandis que seulement 12 pour cent ont déclaré qu'elles pourraient être heureuses seules. En dépit de cela, l’attitude des jeunes tunisien.nes tend à évoluer, ce qui s’explique par les tendances individualistes qui commencent à conquérir le terrain.

L’analyse de Imed Melliti révèle que la sécurité financière est le facteur le plus éminent pour déterminer la satisfaction professionnelle des jeunes, en particulier ceux et celles issu.es de milieux ruraux ou défavorisés. Dans les zones rurales, les personnes les moins instruites sont moins satisfaites de leur situation professionnelle. En outre, la satisfaction des jeunes à l'égard de la situation économique de leur famille a considérablement diminué depuis 2016 (Gertel/Hexel 2019). Par ailleurs, les jeunes Tunisien.nes perçoivent différemment leur situation, certain.es refusent de se sentir frustré.es, tandis que d'autres expriment de la frustration et un sentiment de privation. Les résultats du questionnaire ont révélé que plus de 80 pour cent des jeunes s’identifient comme faisant partie de la classe moyenne, et 10 pour cent seulement s'identifient comme "pauvres", avec des variations significatives selon le genre.

Le regard des jeunes sur leur avenir

En ce qui concerne leur vie personnelle, une grande partie des jeunes tunisien.nes sont optimistes, mais sont un peu moins optimistes quant à l'avenir de la société dans son ensemble. La réussite sociale et économique, l'autonomie financière, une vie de famille stable et un environnement sain sont des priorités pour la plupart des jeunes. Malgré les objectifs matérialistes et hédonistes, nombreux/ euses sont ceux/celles qui attachent une grande importance à la religion et à la croyance en Dieu. En outre, le mariage est considéré comme une composante de réussite considérable, en particulier chez les femmes.

Instabilité économique, mauvaise gestion des institutions publiques, crise économique et problèmes environnementaux sont les préoccupations quotidiennes pour les jeunes. Le changement climatique est particulièrement alarmant pour les jeunes ruraux.

Mobilité et le désir de l’émigration

Avec tant d’angoisse, de nombreux/euses jeunes sont prêt.es à quitter leur famille pour de meilleures perspectives de carrière et sont disposé.es à épouser quelqu’un d’une religion différente ou avec un.e conjoint.e plus âgé.e. Cependant, ils/elles sont réticent.es à accepter des emplois en dessous de leurs qualifications.

Un nombre conséquent des jeunes aspire à vivre à l'étranger, notamment ceux /celles dont la famille compte des migrant.es, et les projets de migration sont au cœur de leurs ambitions. Le désir des jeunes d'émigrer est une préoccupation très répandue, avec différents degrés de certitude et d'importance accordés à cette idée. Les hommes expriment un plus grand intérêt pour l'émigration que les femmes, et il existe une différence notable entre les jeunes des zones rurales et ceux/celles des zones urbaines, ces dernier.es étant plus susceptibles de vouloir émigrer. Il est également remarquable que les jeunes moins éduqué.es sont plus sûr.es de leur projet d'émigration. Certain.es travaillent activement à rendre cette possibilité une réalité.

Pourquoi étudier la jeunesse tunisienne ?

Cette analyse nous met sur des pistes de réflexion intéressantes pour comprendre les besoins d’une jeunesse frustrée et nous pousse à sortir des sentiers battus. Les résultats obtenus devraient alerter les élites politiques à revoir leur stratégie en urgence et à impliquer activement les jeunes dans la prise de décision. Les idées des jeunes pourraient être inexpérimentées, risquées ou nouvelles selon les preneur/euses de décisions actuel.les , cependant, elles permettraient le début d’un changement dans le paysage politique existant, qui affectera inévitablement la situation sociale et économique. Entre la volonté d’émigrer et le rattachement aux liens familiaux, les jeunes tunisien.nes sont à la quête d’une occasion d’être vraiment écouté.es et pris.es aux sérieux dans leur pays afin de réaliser leur plein potentiel tout en vivant dans un environnement propice.

La jeunesse tunisienne est pétillante d’idées, confuse et critique de son quotidien, et optimiste quant à son avenir. Elle représente une richesse intellectuelle marquante qui se taille lentement mais fermement son destin dans un pays qui a toujours résisté et montré la volonté d'aller de l'avant.

Pour lire l’étude : https://mena.fes.de/fr/projets/etude-jeunesse

 

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