14.12.2021

Le piège de la dette des pays à revenu intermédiaire

La dette publique a monté en flèche dans les pays à revenu intermédiaire comme la Tunisie. Pourtant, le FMI et le G20 poussent à des mesures d'austérité, pas à un allégement de la dette

Après presque deux ans de pandémie, les conséquences économiques mondiales de cette dernière ne peuvent toujours pas être pleinement comprises. Une chose est cependant claire : les options de politique économique et financière permettant de contrer les conséquences négatives de la pandémie sont très inégalement réparties dans le monde. Alors que les pays du G20 ont déjà pu mobiliser la somme énorme de 24 % de leur produit intérieur brut pour soutenir leur économie en 2020, la plupart des pays du Sud sont loin de disposer de telles possibilités financières. Pour de nombreux pays à revenu faible et intermédiaire en particulier, il n’y a pratiquement pas de sortie de crise que ces États seuls pourraient gérer.

En un an seulement, en Tunisie, la dette publique a augmenté de 18 points de pourcentage pour atteindre près de 90 % de la production économique.

En 2020, la Tunisie, un pays typique à revenu intermédiaire qui a mis en œuvre les réformes préconisées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) depuis de nombreuses années, a connu la plus grande crise économique depuis son indépendance. En un an seulement, la dette publique a augmenté de 18 points de pourcentage pour atteindre près de 90 % de la production économique. Alors que la reprise économique s'amorce maintenant dans d'autres pays, les perspectives pour la Tunisie ne sont pas claires. Cela tient aussi à la crise politique et à sa dette nationale. En juin 2021, le Président tunisien Kais Said a suspendu le parlement et s'est emparé de ses pouvoirs. Les droits fondamentaux des Tunisiens sont largement respectés, mais quatre mois après son arrivée au pouvoir, on ne sait toujours pas comment les choses vont se passer à long terme.

L'austérité est-elle la solution ?

Avant même que la situation politique ne se détériore, le FMI considérait qu'il était probable que l'endettement de la Tunisie continue d'augmenter de manière insoutenable à moyen terme. Afin de la ramener à un niveau soutenable, le Fond a recommandé des mesures d'austérité dès février 2021, notamment la réduction des dépenses salariales dans le secteur public, la suppression des subventions énergétiques et le ciblage des dépenses sociales uniquement sur les segments les plus pauvres de la population. Mais ces mesures imposeraient un fardeau supplémentaire à la classe moyenne, déjà en perte de vitesse. Un abandon rapide de la politique budgétaire souple mettrait également en péril la reprise économique post-pandémique.

Néanmoins, une fois qu'il a atteint son sommet, le ratio d'endettement élevé pourrait également être réduit en ajustant le niveau de la dette ou le service de la dette. Il s'agirait alors d'impliquer les créanciers dans le rétablissement de la viabilité de la dette tunisienne en les obligeant à renoncer à leurs créances. En fait, l'allégement de la dette en tant qu'instrument de lutte contre les conséquences de la pandémie figurait en bonne place sur l'agenda politique en 2020 : le FMI a proposé un allégement du service de la dette à 29 pays à faible revenu. En avril 2020, le G20 a accepté de suspendre le service de la dette à court terme pour 73 de ces pays, et quelques mois plus tard, ils ont créé un cadre de restructuration de la dette - le Cadre commun du G20.

Mais ces possibilités n'existaient pas pour les pays à revenu intermédiaire. L'accès à ces initiatives n'était pas réglementé en fonction du besoin réel d'aide, mais en fonction du revenu par habitant des pays. Seuls les pays classés comme pauvres selon les catégories de la Banque mondiale y avaient accès. En tant que pays à revenu moyen par habitant, la Tunisie n'était pas éligible – malgré son problème d'endettement. La restructuration de la dette et les annulations partielles ne font donc pas partie des recommandations du FMI pour réduire le fardeau de la dette tunisienne. Au contraire : les mesures d'austérité recommandées par le FMI visent à maintenir le niveau complet du service de la dette entre 2021 et 2025.

Un « bon débiteur »

La Tunisie n'est pas un cas isolé. Les pays à revenu intermédiaire menacés par une crise de la dette sont confrontés au dilemme suivant : s'endetter davantage et aggraver ainsi leur crise de la dette, ou opter pour l'austérité budgétaire et compromettre ainsi leur développement économique.

Compte tenu de leur situation d'endettement déjà critique, nombre de ces pays ont de toute façon peu de marge de manœuvre pour emprunter davantage. En 2021 déjà, 85 pays du Sud ont dû réduire leurs dépenses. D'ici 2023, ce nombre devrait passer à 115 pays. Pourtant, dans de nombreux pays, les dépenses sociales et de santé publique étaient déjà à des niveaux dangereusement bas avant la pandémie de Covid-19.

Les pays exclus des initiatives d'allégement de la dette du G20 et du FMI peuvent demander un allégement de la dette à leurs créanciers en dehors du cadre du G20. Cependant, dans le contexte de la pandémie, les créanciers privés et leurs institutions ont utilisé avec succès l'argument selon lequel l'allègement de la dette n'est pas dans l'intérêt des pays débiteurs. Des banquiers et des gestionnaires de fonds ont été cités à plusieurs reprises comme ayant déclaré que l'allègement de la dette pourrait rendre les emprunts futurs plus coûteux. D'autre part, selon les banquiers, en maintenant le service de la dette selon le calendrier prévu, des relations financières stables avec les prêteurs privés pourraient être maintenues même pendant la crise.

La menace a fonctionné. En avril 2021, le gouverneur de la banque centrale de Tunisie a publiquement dissipé la rumeur selon laquelle la Tunisie pourrait chercher à négocier le rééchelonnement de sa dette. Peu de temps après, le pays a remboursé à temps sa dette obligataire de 1 milliard de dollars, avec pour résultat que ses réserves de change ont chuté à des niveaux dangereusement bas. Et donc, l'argument selon lequel le recours à l'allègement de la dette conduit à l'exclusion du marché des capitaux est empiriquement insoutenable. Quoi qu'il en soit, cette bonne obéissance n'a pas apporté le soutien promis aux pays à revenu intermédiaire inférieur. En fait, ce groupe de pays a remboursé plus d'intérêts et de paiement principal à des créanciers privés à l'étranger qu'il n'a reçu de nouveaux prêts de leur part au cours de la même période.

En particulier dans une crise mondiale d'une telle ampleur, il serait bon de répartir équitablement la charge de l'ajustement entre débiteurs et créanciers.

En particulier lors d'une crise mondiale d'une telle ampleur, il nous incomberait de répartir équitablement le fardeau de l'ajustement entre débiteurs et créanciers

À ce jour, les initiatives créées par le FMI et le G20 n'ont pas été étendues à tous les pays ayant besoin d'aide. Au contraire, malgré la rhétorique du FMI sur le risque sérieux d'un « fossé majeur » entre les pays riches et la plupart des pays en développement, la communauté internationale abandonne tout simplement les pays à revenu intermédiaire qui risquent le surendettement. Ces pays ont peu de marge de manœuvre pour investir dans une relance et ne peuvent donc pas espérer une reprise économique rapide.

Du point de vue des créanciers, la Tunisie a été jusqu'à présent un « bon débiteur » qui a toujours remboursé ses dettes à temps. Mais dans la crise actuelle, cela n'est possible que si les droits des créanciers sont prioritaires par rapport aux droits économiques et sociaux des citoyens tunisiens. Même avant la crise, les soins de santé n'étaient plus garantis dans certaines régions de Tunisie.

La restructuration de la dette insoutenable peut être un moyen efficace de stabiliser le ratio d'endettement et de créer un espace budgétaire sans imposer de charges excessives sur la population du débiteur. En particulier pendant une crise mondiale d'une telle ampleur, il serait crucial de répartir équitablement la charge de l'ajustement entre débiteurs et créanciers. Dans cette situation, le plus grand risque d'une crise de la dette n'est pas que les paiements aux créanciers ne soient pas effectués, mais que les pays soient étouffés dans leur développement par les coûts du service de la dette et, par exemple, que des investissements importants pour lutter contre la pauvreté et le changement climatique ne puissent pas se concrétiser.

Mettre fin à la crise de la dette

La priorité absolue doit donc être de stabiliser la situation sanitaire, économique et sociale des pays touchés aussi rapidement et globalement que possible et de permettre des investissements durables dans des mesures de protection du climat et la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. En revanche, la satisfaction des attentes de revenus à court terme des différents créanciers est d'une importance secondaire. Compte tenu de la voie à suivre pour atteindre les objectifs en matière de climat et de durabilité, tout le reste constituerait une perte considérable, non seulement pour les pays eux-mêmes, mais pour le monde entier.

Face à l'absence d'initiative de la part du G20, les gouvernements des pays en développement et émergents gravement endettés sont contraints de défendre plus fortement leurs propres intérêts. Des pays comme le Pakistan et la Jamaïque et des groupes entiers de pays comme l'Alliance des petits États insulaires (AOSIS), ont fait des propositions quant aux réformes nécessaires pour sortir de la crise de la dette. Il est important de rendre ces initiatives visibles et audibles afin que les pays débiteurs ne soient pas exclus de la recherche de solutions à l'avenir.

Le nouveau gouvernement allemand joue ici un rôle crucial. La Tunisie, qui est le « pays cible le plus important du partenariat de transformation entre le gouvernement allemand et le monde arabe » depuis les bouleversements de 2011, devrait recevoir un soutien politique et diplomatique plus fort de la part de l'Allemagne. Des aspects importants de la politique étrangère de la coalition des feux de signalisation, de l'hydrogène vert à la migration et à une politique étrangère fondée sur des valeurs, ont leur point d'appui en Afrique du Nord.

En outre, le futur gouvernement fédéral a créé la base politique pour mettre en œuvre des solutions durables à la crise de la dette, et pas seulement dans les pays pauvres. L’accord de coalition présenté le 24 novembre comprend un accord visant à créer un cadre souverain d’insolvabilité.

Cependant, les accords de coalition de 2002 (rouge/vert) et de 2009 (noir/jaune) contenaient déjà des formulations similaires sans que ces accords ne soient jamais mis en œuvre. Cette fois, le nouveau gouvernement doit traduire en actes les bonnes paroles de l'accord de coalition. La présidence allemande du G7 en 2022 serait un bon point de départ. Le monde ne peut tout simplement pas se permettre une décennie de crise de la dette.

Cet article est disponible en anglais sur le journal en ligne de IPS

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