24.10.2022

La promotion de la démocratie est le plus grand défi interne de l’Irak

Après une année de lutte, un gouvernement a été formé en Irak. Cependant, la paix politique et sociale tant désirée n’est pas encore au rendez-vous.

Cette fois-ci, les tirs de roquettes en provenance de la zone verte de Bagdad n’ont pas pu empêcher la tenue de la session parlementaire. Après un peu plus d’un an après les élections législatives du 10 octobre 2021, l’impasse politique en Irak a pris fin avec l’élection de l’homme politique kurde Abdoul Latif Rachid à la présidence. Il a prêté serment lundi rendant ainsi la formation d’un gouvernement sous la direction du chiite Mohammed Shia' al-Soudani comme premier ministre une simple formalité. Le triumvirat du système Mouhasasa, le système de quotas ethnico-religieux, est ainsi au complet sachant que le sunnite Mohammed Al-Halbousi demeure président du parlement, le Kurde Abdoul Latif Rachid est le nouveau président de l’Irak et le chiite Mohammed Shia' al-Sudani dirige le gouvernement en tant que premier ministre.

Mais une personne est restée bredouille : le clerc chiite et fauteur de troubles Mouqtada al-Sadr a joué trop gros. Son mouvement, en tant que vainqueur des élections parlementaires, avait de loin les meilleures cartes. En renonçant aux mandats parlementaires de son mouvement, il s’est extirpé des événements intra-parlementaires et a laissé le terrain de jeu au cadre de coordination chiite, qui lui est hostile. Bien qu’il ait tenté d’exercer son pouvoir en prenant d’assaut la Zone verte et en organisant des sit-in parlementaires, il semble qu’il n’ait plus d’atouts dans sa manche.

La retenue actuelle dont il fait preuve est inhabituelle de sa part et est probablement l’expression de la prise de conscience du fait qu’il a eu tort dans sa stratégie. Cependant, quiconque connaît Al-Sadr sait qu’il n’aime pas être mis à l’écart et que, sans lui, aucune paix politique ou sociale ne peut être atteinte. Nous pouvons supposer qu’il tirera les ficelles en coulisses pour orchestrer l’échec du nouveau gouvernement et se positionne déjà pour de nouvelles élections.

Quelles que soient les ambitions du nouveau gouvernement irakien dans ses efforts, il est d’ores et déjà clair que l’Irak sera confronté de manière imminente à la prochaine escalade si le système ne change pas fondamentalement.

Un système politique perturbé

Les acteurs internationaux, comme la Mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak (MANUI), poussent un soupir de soulagement. Selon eux, la voie est libre pour que l’Irak, après plus d’un an de préoccupations diverses, se concentre à nouveau sur les vrais problèmes du pays : la crise économique, la crise climatique et la corruption. Le risque d’une nouvelle déstabilisation et des mouvements de réfugiés qui l’accompagnent semble pour l’instant écarté. Cependant, le nouveau gouvernement sera-t-il vraiment en mesure de trouver des réponses aux grands défis de l’Irak et d’instaurer la paix sociale ?

Peu importe l’ambition des efforts du nouveau gouvernement irakien, il est d’ores et déjà évident que l’Irak sera confronté de manière imminente à la prochaine escalade si le système ne change pas fondamentalement. Le dysfonctionnement inhérent au système politique irakien se reproduit et génère continuellement des inégalités sociales qui se creusent avec le temps. Le clientélisme politique favorise sans cesse les mêmes cercles et crée ainsi un mécontentement parmi ceux qui sont exclus et structurellement défavorisés. Plus leur frustration augmente, plus le risque d'affrontements violents qui secouent régulièrement l'Irak depuis de nombreuses années augmente. Or, le pouvoir politique, économique et militaire (sous forme de milices) reste concentré entre les mêmes mains, avec des mouvements de révolte qui sont accueillis avec une répression violente.

Le terrain de jeu du nouveau gouvernement irakien est donc clairement délimité : les réformes ne sont possibles que dans la mesure où l’équilibre des forces existant est maintenu. Cette culture politique, associée à une économie rentière dominante, à un secteur public hypertrophié et à une corruption omniprésente, rend illusoire toute forme de changement. C’est un signal fatal pour un pays en crise qui, malgré l’augmentation des revenus pétroliers, ne peut même pas subvenir aux besoins fondamentaux de sa population en pleine croissance.

La nécessité d’un dialogue national

À quoi pourrait ressembler une voie pacifique pour un changement transformateur ? La condition préalable à ceci serait, avant tout, que le gouvernement et l’élite politique admettent que le système politique est défaillant. En outre, il faudrait également avoir la volonté d'être réellement au service du peuple et de faire preuve d’altruisme. Se considérer comme un gouvernement de transition permet de prendre les mesures nécessaires pour mettre en place un système politique qui fera de l’Irak une démocratie, et pas seulement sur le papier.

Il s’agit notamment de mener un large dialogue national, qui pourrait rétablir la confiance de la population, gravement ébranlée, dans la démocratie. Depuis les premières élections parlementaires irakiennes qui ont eu lieu après l’invasion américaine en 2005, le taux de participation n’a cessé de diminuer, atteignant ainsi un niveau record de 43,5 % en 2021. Les Irakiens n’ont pas le sentiment que les élections sont le porte-parole de leur vote ou un levier de changement.

Ce n’est pas surprenant, car il n’y a pas eu de stabilité politique ni de véritables réformes ces dernières années. Au lieu de traduire la volonté de l’électorat en action gouvernementale, les partis politiques n’ont fait que se battre pour maintenir leur influence et s’accrocher au pouvoir. Un dialogue national pourrait aider à combler les profonds clivages entre les différents groupes ethniques et religieux en Irak. Surtout après la lutte pour le pouvoir entre les partisans d’Al-Sadr et le Cadre de coordination, il est également important de calmer les vagues au sein des chiites irakiens. L’instrumentalisation et l’incitation des différents groupes par des élites intéressées ont jusqu’à présent fait massivement obstacle à la formation d’une identité irakienne. En fait, ceci répond aux demandes du mouvement Octobre 2019 (Tishreen) d’abolir le système dominé par les sectes et de promouvoir un État irakien souverain unifié.

L’instrumentalisation et l’incitation des différents groupes par des élites intéressées ont jusqu’à présent fait obstacle à la formation d’une identité irakienne.

En fin de compte, une paix politique et sociale durable ne peut réussir que si les armes sont déposées. Tant que les milices chiites, majoritairement pro-iraniennes, agiront comme une extension des partis politiques et menaceront les militants pour la démocratie, entre autres, elles constitueront un obstacle majeur à une démocratie saine. La promotion d’une telle démocratie est le plus grand défi interne de l’Irak dans un avenir proche. Il s’agit également d’un défit que la communauté internationale devrait soutenir afin d’initier un changement profond et durable et de se libérer définitivement des réseaux de clientélisme.

Cet article est disponible en anglais sur le journal en ligne de IPS

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