08.08.2022

La démocratie irakienne peut-elle encore être sauvée ?

La prise d’assaut du parlement irakien par les partisans d’Al-Sadr était motivée par des années d’impasse politique - menaçant la démocratie et la paix en Irak.

La démocratie malmenée de l’Irak est une fois de plus mise à l’épreuve et la population irakienne en paie le prix. Ces dernières semaines, les partisans du leader chiite Mouqtada Al-Sadr ont pris d’assaut le parlement irakien et organisé deux sit-in. Leur protestation a fait échouer l’élection prévue de Mohammad Shia Al-Soudani au poste de premier ministre. Al-Soudani a été désigné par le Cadre de coordination chiite, qui rassemble divers groupes et milices, à l’exception du mouvement d’Al-Sadr.

Depuis les élections d’octobre 2021, l’Irak est dans une impasse politique, les forces fragmentées, principalement chiites, se disputant l’influence. Le mouvement du religieux chiite Al-Sadr est sorti vainqueur, avec 73 des 329 sièges, tandis que deux coalitions chiites bien établies et soutenues par l’Iran, à savoir l’Alliance Fatah et l’Alliance des forces nationales d’État, ont subi des pertes importantes. Après l’élection, Al-Sadr souhaitait former un gouvernement majoritaire sous la forme d’une triple alliance comprenant son mouvement, la coalition sunnite Taqaddoum et le PDK kurde. Le Cadre de coordination chiite a toutefois exigé le maintien d’un gouvernement d’unité, fréquent en Irak, dont il ferait partie.

Après avoir échoué à former un gouvernement, les députés du mouvement Sadr ont démissionné. La balle est donc restée dans le camp du Cadre de coordination. Cependant, le retrait de Sadr du parlement est considéré comme un stratagème tactique visant à gagner en crédibilité en tant que prétendu outsider contre une élite politique corrompue, lui permettant de mobiliser les protestations populaires. Dans ce contexte, les plus grandes manifestations depuis les protestations massives d’octobre 2019, ainsi que le sit-in parlementaire ne sont guère étonnants.

Aucun moyen de contourner Al-Sadr

Les manifestations actuelles ne sont pas personnellement liées à Al-Soudani. Les sadristes le dépeignent comme une marionnette de Nouri Al-Maliki, chef de la coalition pour l’État de droit et ancien Premier ministre de 2006 à 2014, bien que les spécialistes de l’Irak en doutent. Quoi qu’il en soit, Al-Soudani, ministre des droits de l’homme sous Nouri Al-Maliki, ne serait pas un mauvais choix par rapport aux autres candidats potentiels. Toutefois, à la suite des récents événements, Al-Soudani n’a pas beaucoup de chances d’accéder au poste de premier ministre.

Il semble qu’il n’y ait aucun moyen de contourner le faiseur de roi populiste Al-Sadr. D’un côté, il dénonce la corruption, la mauvaise gestion et l’emprise de l’Iran sur l’Irak, mais il est loin d’être un Monsieur Propre. Son impulsivité limite considérablement les possibilités de solutions pacifiques et démocratiques pour l’Irak. Ceci risque d’enclencher une spirale d’escalade qui n’a jusqu’à présent coûté aucune vie, mais qui a déjà blessé plus de 100 personnes du côté des manifestants et des forces de sécurité.

Les scénarios potentiels varient entre de nouvelles élections et la reprise de la guerre civile.

Les scénarios possibles varient entre de nouvelles élections et la reprise de la guerre civile. Deux facteurs rendent toutefois peu probable le scénario de la guerre civile, du moins pour le moment. Premièrement, des groupes de chiites irakiens se confrontent aujourd’hui, -Al-Sadr et le Cadre de coordination chiite - qui, bien qu’en désaccord sur l’influence de l’Iran et la forme du gouvernement, partagent des vues religieuses et célèbrent le mois sacré de Mouḥarram. Il s’agit du premier mois du calendrier islamique, au cours duquel les chiites pleurent la tragédie familiale de Ḥousayn Ibn Ali. Faire la guerre est interdit durant cette période. Deuxièmement, les acteurs de cette lutte pour le pouvoir sont bien conscients qu’une guerre civile pourrait diminuer leur part de pouvoir et réduire leur capacité à distribuer des largesses.

La confiance du peuple dans la démocratie est ébranlée

Les principales victimes de ce blocage politique sont la démocratie et le peuple irakien. En tout état de cause, le taux de participation record de 43,5 % a sapé la légitimité parlementaire. A fortiori avec le retrait des députés sadristes du parlement, qui ne représente plus qu’une minorité de la population, la confiance populaire dans la démocratie était déjà fortement ébranlée. D’octobre à décembre 2019, les manifestations massives les plus violentes depuis 2003 ont convulsé de larges portions du pays. Les jeunes Irakiens ont exprimé leur désarroi face à la corruption endémique, aux services gouvernementaux dérisoires, au chômage élevé et au système politique.

Les manifestations ont été violemment réprimées par les forces de sécurité irakiennes, faisant des centaines de morts et de blessés parmi les manifestants. Les principales revendications du mouvement Tishreen (octobre) étaient une réforme fondamentale du système politique (telle que l’abolition du système dit Mouhasasa, impliquant des quotas ethnico-religieux) et un nouveau gouvernement non corrompu. Ces deux demandes restent largement insatisfaites. Le mouvement Tishreen aurait donc toutes les raisons de descendre à nouveau dans la rue.

Plus le blocus politique se poursuivra, plus ce qui reste de la confiance populaire dans la démocratie diminuera.

Le mouvement est cependant plus fragmenté que jamais. Des forces radicales et religieuses ont infiltré le mouvement et ont tenté de lui imposer leurs objectifs. Certaines ont été cooptées par le gouvernement, d’autres se sont rattachées à des partis issus de la contestation. On peut ainsi supposer que le mouvement dispose aujourd’hui d’un potentiel de mobilisation moindre que jusqu’à présent.

Plus le blocage politique se poursuivra, plus ce qui reste de la confiance populaire dans la démocratie diminuera. Ceci réduit les chances de résoudre la crise politique de manière pacifique. Nous avons vu au fil des ans que l’élite politique est incapable de gérer une transformation du système existant. Une plus grande participation politique des citoyens irakiens, par exemple lors d’élections libres et équitables, et une pression de la rue pourraient apporter le changement tant souhaité. Mais pour ce faire, les élites corrompues devront cesser de s’accrocher au pouvoir et ouvrir la voie à une démocratie qui ne soit pas seulement sur le papier, mais aussi bien vécue.

 

Cet article est disponible en anglais sur le journal en ligne de IPS

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