11.01.2023

La révolution s'essouffle

En Tunisie, la foi en la politique est perdue, les élections sont ignorées. La faillite menace le pays. L'opposition a boycotté les élections et exige un retour à la démocratie.

Pour le président tunisien Kais Saied, tout ne s'est pas passé comme prévu cette semaine. Douze ans jour pour jour après l'immolation du marchand de légumes tunisien Mohamed Bouazizi, qui a déclenché la révolution tunisienne et le printemps arabe, Saied a décidé de célébrer à sa manière cette "explosion révolutionnaire", comme il appelle aujourd'hui l'événement.

Le 17 décembre 2022 ont eu lieu les premières élections législatives depuis la réforme constitutionnelle imposée cet été par le président Saied. En ce premier jour de vacances d'hiver, les Tunisiens ont toutefois préféré profiter du soleil, tandis que les bureaux de vote sont restés déserts. Avec une participation officielle d'à peine plus de onze pour cent, le vote a donc été un fiasco pour la "nouvelle république" de Saied et pour son instance électorale, l'ISIE, qui n'est d'ailleurs plus aussi indépendante que son nom complet (Instance supérieure indépendante pour les élections) le laisse entendre. Ses membres sont nommés par Saied et obéissent à ses ordres. Le slogan de campagne du président - "Le peuple veut et sait ce qu'il veut". - personne n'a pu y échapper. SMS quotidiens envoyés à tous les numéros de téléphone portable, spots publicitaires, apparitions dans les médias, tous ses efforts sont toutefois restés vains : le peuple ne veut pas ou ne sait pas ce qu'il veut.

Les quatrièmes élections législatives depuis la révolution tunisienne n'ont cependant pas seulement échoué en raison des appels au boycott de l'opposition contre Kais Saied ou de l'absence de supervision internationale (le Parlement européen avait décidé le 16 décembre de ne pas envoyer d'observateurs), mais en raison du désintérêt général et de l'aversion de la population pour l'ensemble de la classe politique, qui l'a déçue au cours des douze dernières années. Tous ont échoué, sans exception. Les Tunisiennes et les Tunisiens n'ont plus confiance en leurs élites et remettent désormais en question le processus de transition démocratique entamé en 2011.

L'ambiance de renouveau qui régnait dans le pays après 2011 n'a pas résisté aux crises politiques à répétition, aggravées par de graves problèmes économiques. Si le pays continue de se féliciter des quelques libertés acquises lors de la révolution, celle-ci est surtout perçue aujourd'hui avec une grande désillusion. Nombreux sont ceux qui suivent avec attention les événements en Tunisie, tandis que la majorité silencieuse a de plus en plus de mal à subvenir à ses besoins.

Ni les partisans du président ni l'opposition ne sont en mesure de présenter une alternative "satisfaisante" pour sortir de la crise. Les premiers estiment qu'il est exagéré de parler d'un faible taux de participation, car il s'agit d'une expérience nouvelle pour le peuple (c'est la première fois que des personnes concrètes sont soumises au vote, dans une élection à deux tours). Il s'agit toutefois d'un déni total de la réalité, qui conduirait à un nouveau parlement, certes valide mais non légitime, lors d'un second tour. L'opposition demande au contraire la démission du président et du gouvernement ainsi que des élections législatives et présidentielles anticipées selon l'ancien modèle électoral d'avant la réforme constitutionnelle de juillet, imposée malgré une forte résistance.

Les deux alternatives - continuer comme si de rien n'était ou démissionner du président - semblent prématurées et irréfléchies. Pire encore : avec l'effondrement de l'économie, renforcé par le report du crédit du FMI - le Fonds monétaire vient d'annoncer que le crédit de 1,9 milliard de dollars US ne serait pas à l'ordre du jour de ses discussions de décembre, afin de donner à la Tunisie plus de temps pour se présenter dans des conditions plus favorables -, les deux scénarios risquent de plonger le pays dans un chaos amer. La situation qui en résulterait pourrait ressembler à celle de la Grèce il y a quelques années ou à celle du Liban aujourd'hui.

Mais contrairement à la Grèce, la Tunisie ne fait pas partie d'une union politique et économique forte comme l'UE. Ni les pays voisins, l'Algérie et la Libye, ni les monarchies du Golfe ne sont prêts et capables de sauver la Tunisie de la faillite. Si les acteurs politiques tunisiens ne reviennent pas à la raison, le scénario libanais est donc plus réaliste.

Le président tunisien devrait assumer la responsabilité de cette crise politique sans précédent. Premièrement, en s'adressant au peuple et en prenant acte de son rejet du processus entamé le 25 juillet 2021. Deuxièmement, il devrait appeler les différents "belligérants" à discuter sous l'égide des principales organisations nationales telles que la Confédération des syndicats et la Fédération des entreprises, l'Ordre des avocats et la Ligue des droits de l'homme. Un gouvernement de transition pourrait ainsi être formé afin d'améliorer le climat politique général, de gérer les affaires courantes du pays et de préparer et d'organiser des élections législatives et présidentielles selon des normes à définir au préalable et dans l'esprit de la Constitution de 2014.

En effet, la crise politique actuelle ressemble dans une certaine mesure à celle de 2013, lorsque le climat était très tendu et menaçait d'exploser avec une vague de violence exceptionnelle pour le pays et deux assassinats politiques. A l'époque, les deux camps opposés - laïc et islamiste - avaient fait descendre les gens dans la rue dans leur tête-à-tête. Mais cette époque semble actuellement bien lointaine, si l'on considère que seuls les clubs sportifs et la confédération syndicale sont aujourd'hui en mesure de mobiliser les masses.

Il est donc temps de faire le bilan et de siffler la fin de la récréation pour éviter que la Tunisie ne sombre dans le chaos. C'est pourquoi il est maintenant si incroyablement important de tirer les bonnes leçons pour sauver ce qui peut l'être. Le pays ne peut pas supporter une autre crise grave dont les effets ne se limitent plus au niveau national, mais affecteront toute la région à court et moyen terme.
 

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