13.10.2022

La réforme politique en Jordanie – Qu'y a-t-il pour les femmes ?

Il y a un peu plus d'un an, le roi Abdallah II a chargé le Comité royal pour la modernisation du système politique de proposer des réformes pour orienter le Royaume hachémite vers la démocratie.

Il y a un peu plus d'un an, le roi Abdallah II a chargé le Comité royal pour la modernisation du système politique de proposer des réformes pour orienter le Royaume hachémite vers la démocratie. Une attention particulière a été accordée à l'accroissement de la participation des jeunes et des femmes à la vie politique jordanienne étant donné que la démocratie ne peut être réalisée sans inclusion et égalité. Cela s’est reflété également dans le rapport de la Commission dont chacun de ses six chapitres comprend une sous-section dédiée  aux femmes. Une section leur est même entièrement consacrée. En revanche, seulement un quart des 74 membres des comités étaient des femmes. Par conséquent, le degré de participation directe des organisations de défense des droits des femmes à l'élaboration du rapport reste largement infime.

Ainsi, l'urgence de prendre des mesures concrètes s’impose : en 2021, la Jordanie s'est classée 144e sur 157 pays dans le monde en  matière  d'autonomisation politique des femmes, derrière l'Arabie saoudite, ce qui représente une forte baisse depuis le début des années 2000 :seules deux femmes sont nommées ministres dans le conseil ministériel actuel , le nombre de femmes au parlement ne dépasse pas le minimum légal de 16 sur 130, et 58 sur 65 députés sont des hommes. Les femmes se présentent aux élections en tant que candidates ou électrices en nombre significativement inférieur à celui des hommes. Lors des dernières élections législatives de 2020, seulement 22 %  des candidats étaient des femmes et le taux de participation, historiquement faible,  demeure plus  bas chez les femmes. Cette tendance est également évidente à un niveau local : aucune femme sur les cinq candidats aux dernières élections municipales, et pas une seule n'a concouru pour le poste de maire contrairement à 572 hommes.

Le débat sur la participation égale des femmes à la vie politique jordanienne ne date pas d’aujourd’hui, mais il a pris de l'ampleur dans le contexte des réformes. En 2021, la FES a publié et vient de lancer une version en arabe du livre intitulé Years of Struggle – The Women' s Movement in Jordan, écrit par la journaliste et militante Rana Husseini,. Selon l’auteure, quatre facteurs majeurs entravent en particulier les candidatures féminines et la probabilité de se voir attribuer un siège : un parti pris sociétal remettant en question la capacité des femmes à diriger, un système de vote favorisant les candidats masculins, l'incompatibilité de l'activisme politique avec le rôle des femmes dans la société et la nécessité d'avoir des moyens financiers considérables pour assurer une campagne électorale. Compte tenu de ce qui précède, dans quelle mesure ces questions ont-elles été abordées par les réformes ?

Renforcement de la participation politique – plus facile à dire qu'à faire

L'objectif principal des réformes consistait à combler l'écart susmentionné entre les sexes : une nouvelle loi électorale réserve 30 % des sièges au parlement aux listes de partis dans le cadre d’un système de listes nationales fermées contraintes de classer au moins une femme parmi les trois premiers candidats. Bien que cela doive augmenter le nombre de femmes au Parlement, le résultat dépend fondamentalement de la performance des partis pendant les élections et de la question de savoir si les candidats masculins de premier plan acceptent de céder les positions sûres en faveur d'une candidate. Compte tenu de la rareté actuelle des femmes aux postes de direction des partis et de leurs chances réduites de siéger au Parlement, les petits partis en particulier pourraient ne pas répondre à ces attentes. La pyramide des droits exige qu’au moins 20 % des membres fondateurs de chaque parti soient des femmes, élargissant ainsi la représentativité des femmes au sein des partis politiques. Reste à voir si cela peut élargir le champ de la prise de décision et les programmes au sein des partis au-delà des changements quantitatifs ou si les partis ne feront que le strict minimum.

La visibilité peut être un premier pas vers le changement

Il est attendu de voir si la représentation des femmes au Parlement ira au-delà du quota (des sièges réservés aux femmes), ce qui n'a pas été le cas lors des dernières élections de 2020. Cependant, dans un entretien avec l'auteure, Husseini souligne que les sièges réservés améliorent la visibilité et favorisent  l'acceptation et l'expansion de la participation politique des femmes auprès du grand public. Des données récentes du Baromètre arabe corroborent cette affirmation : l’accord général sur l'affirmation selon laquelle les hommes sont plus qualifiés pour le leadership politique s’est rétréci, passant d'environ 74 % les années précédentes à 53 % en 2020. De même, l’approbation de l’idée selon laquelle une femme pourrait devenir Premier ministre dans un pays musulman est passée d'une moyenne de 65 à 69 % pendant les années précédentes à 72 % en 2022. Bien qu'il soit encore manifeste, il semble que les préjugés de la société contre le leadership politique des femmes s'érodent lentement.

Pas de travail pour une femme ? La politique reste un environnement non sans défis

Aucune de ces réformes, cependant, n’a cherché à trouver un remède aux conditions de travail difficiles des femmes politiques, dont beaucoup sont en liaison avec le secteur économique. En Jordanie, la participation économique des femmes reste faible. Alors que le travail (politique) est généralement accepté par l'environnement social d'une femme, cette approbation se contracte rapidement si ce travail semble se faire aux dépens de la famille ou dans un environnement mixte. Les femmes sont souvent confrontées à la violence sexiste pendant les campagnes ou lorsqu'elles occupent un poste administratif, ce qui représente un autre obstacle pour ceux qui envisagent d'entrer sur la scène politique. Sans changement à cet égard, il est peu probable que la participation, tant économique que politique, se développe rapidement.

Égalité en politique sans égalité devant la loi ?

L'inégalité devant la loi demeure l'obstacle le plus important à la participation des femmes. La Constitution jordanienne n'offre pas la pleine égalité juridique car son article 6 interdit la discrimination uniquement « pour des raisons de race, de langue et de religion », et non pour des raisons de sexe. Bien que le comité n'ait pas abordé cette question, un amendement constitutionnel a ajouté le terme « Urduniat » (féminin des jordaniens) au deuxième chapitre, définissant les droits et les devoirs des Jordaniens. Parallèlement, une clause enjoignant explicitement à l'État d'autonomiser les femmes et de les protéger de toutes les formes de violence et de discrimination. Bien que cela ait déjà été très controversé au cours du débat parlementaire, ces mesures restent une alternative insuffisante, pas seulement pour les observatrices. L'ancien ministre jordanien des affaires étrangères, Marwan Muasher, par exemple, a critiqué le terme « autonomisation des femmes » comme étant trop vague et a souligné que la « faille » de discrimination susmentionnée n'était pas touchée par la clause. Il a plutôt exigé la pleine égalité constitutionnelle. Dans l'état actuel des choses, Rana Husseini a également fait valoir dans un entretien  que de futures poursuites judiciaires pourraient être nécessaires pour obtenir des éclaircissements à ce sujet.

Un changement significatif exige plus que des réformes descendantes

Bien que les amendements et les réformes actuels améliorent sans doute les chances de participation des femmes, il est clair qu’elles ne représentent pas une avancée considérable. Des obstacles majeurs subsistent à l'intérieur et à l'extérieur du système politique et l'expérience de nombreux observateurs et militants les a rendus sceptiques à cet égard. Il est crucial donc de voir comment les partis vont répondre à ces demandes qui leur ont été largement imposées. Dans cette situation, la question qui se pose c’est de savoir comment la société civile jordanienne et, en particulier, le mouvement féministe peuvent trouver leur position dans le processus d’accompagnement de la mise en œuvre des réformes et pousser à des changements encore plus approfondis. L'activisme civil en Jordanie, récemment qualifié par Freedom House de« non libre », est confronté à de nombreux défis et incitations pour « savoir quelles sont les limites à franchir, quand et où il faut s'arrêter afin d’éviter l’écrasement de cet activisme », comme l'a affirmé Husseini. Tout en gardant l'espoir que le succès sera au rendez-vous  à long terme, l’auteure pense que  la capacité de la société civile à remédier efficacement aux inégalités et aux injustices dans presque tous les aspects de la vie sociale, politique et économique des femmes en Jordanie est essentielle pour empêcher cette série de réformes de rester lettre morte.

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